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Extrait long de mon ébauche de roman

Chapitre 5, Partie 2

 

Jean-Paul Sartre disait cette phrase : « L'enfer, c'est les autres », mais moi, j'ai envie de lui dire à ce bon Monsieur Sartre que sa citation ne peut pas s'appliquer à tout le monde, parce que dans mon cas, l'enfer ce n'est pas les autres, mais moi-même.

En vérité la plus dangereuse, n'est-ce pas celle qui tente de s'ôter la vie alors qu'elle a, apparemment, tout pour être heureuse mais sans y parvenir ? J'ose le dire, j'éprouve le besoin irrépressible de faire disparaître de la surface de la terre cette non-existence qui est la mienne, d'enlever cette vie-même que ma mère a fait grandir dans son ventre et qu'elle a nourri durant sept mois dans une parfaite osmose avec un cordon ombilical. C'est une douleur que je n'explique pas et qui est de toute façon inexplicable car pleine d'absurdité. Je me suis tant de fois assise sur le rebord de la fenêtre, avec au dessous de moi des voitures minuscules, mes jambes se balançant dans le vide en imaginant mon corps se fracasser et exploser sur le sol, souillant les bagnoles et les immeubles de morceaux de corps, pourtant sans jamais passer à l'acte car cette idée de fin que personne n'a jamais pu raconter parce que personne n'en est revenu m'est trop effrayante.

Mais la vie est une pute, et moi je suis trop lucide.

Et me voilà maintenant de nouveau seule, la porte claque pour la deuxième fois en seulement quelques heures, ce claquement qui cogne sur mes oreilles et qui me fait esquisser un petit sourire mi-soulagé, mi-désespéré.

Ma respiration devient de plus en rapide alors que je tourne la tête tout autour de moi en quête d'un peu de compagnie, mais le constat est désolant. Il n'y a personne pour moi ici, et je sais que je vivrais comme ça très vieille : seule avec des chats qui pissent sur le tapis.

Les battements de mon cœur s'accélèrent, mon ventre se tord, j'ai l'impression d'être dans une machine à laver tant ma vision se tourne, je suis perdue, je me sens si seule, si seule, si seule...

Je ne pourrais pas expliquer le cheminement qu'a prit ma pensée tandis que je courais dans la cuisine à la recherche d'un moyen pour atténuer ce vide qui menaçait de m'engloutir comme une baleine.

Devenue zombie, devenue hyène affamée, devenue sangsue avide de sang, devenue vampire assoiffée, je me suis ruée telle une furie dans ce temple de la nourriture et de cette drogue qui a la douce appellation de sucre.

J'ouvre à la volée tous les placards, toutes les portes, je ne me contrôle plus, je ne suis plus Eva, je suis une pauvre junkie qui est en manque de sa dose. Je prends tout ce qui passe, qu'importe ce que c'est, du moment que ça a l'air bon et rapide à manger. Le plan de travail est jonché de paquets de chips à la moutarde et au poulet, de boîtes de thon, d'une boîte de conserve remplie de saucisses-lentilles, de tartelettes au chocolat, de gâteaux à la fraise, d'un pot de Nutella. S'ensuivent ensuite le jambon, le saucisson, le fromage râpé, le fromage de chèvre...

Je contemple avec envie mon carnage, mélangeant appréhension et excitation, je commence à remplir mes cinq bouteilles d'eau très chaude, en vue de ma prochaine orgie. Mes gestes sont méthodiques et rythmés par l'habitude du shoot.

Une légère hésitation ralentit ma course, et toute une partie moi est en train d'essayer de lutter, d'échapper à ce qui l'attend, mais je n'ai plus de raison, je ne peux plus lutter contre ça.

Mes doigts ouvrent rapidement le tout premier paquet de chips, attrapent le premier pétale et le goût du sel qui picote sur ma langue provoque toute une réaction en chaîne, me transformant inévitablement en monstre dévoreur de nourriture humaine.

Tout va vite, trop vite pour que manger comme cela soit naturel, mais rien n'est naturel dans ma manière d'agir, rien de rien.

J'avale des énormes bouchées de chocolat, ne prenant même pas le temps de mâcher que déjà l'autre bouchée est dans ma bouche, prête à être avalée encore et encore, je suis un robot, et je suis en pleine extase.

Je sens le goût des aliments sur mon palet, sur mes dents et dans ma gorge, tout est délicieux et je ne m'en repaît pas, en voulant toujours plus, je continue à ouvrir tout ce qui se trouve sur le comptoir, jetant les papiers par terre, à même le carrelage.

Bientôt, j'enfourne dans ma bouche une grosse et dernière part de fromage, et j'ai envie de vomir. Mon estomac ne peut plus rien contenir, j'ai tellement mal au ventre que j'ai l'impression qu'on me plante des couteaux très profond dans la chair et que ça touche les intestins. Je baisse les yeux sur mon abdomen, et je le vois avec répulsion, cet immonde gros ballon qui ressemble au ventre d'une femme enceinte. Je commence à sangloter doucement, tout me dégoûte mais moi encore plus, je me déteste et je me hais d'avoir agi de la sorte, je voudrais mourir !

Mon corps m'envoie des signaux d'alarme, je peine à marcher et les quelques mètres qui me séparent de mes précieuses bouteilles me semblent insurmontables.

Enfin, je bois encore et encore l'eau déjà tiède, gonflant encore un peu plus mon ventre et emprisonnant toujours plus ma liberté de mouvement, je n'ai plus de force, tellement mal que j'en suis clouée au sol.

Je parviens jusqu'à la cuvette des toilettes à genoux, je me sens mourir de l'intérieur, j'ai l'impression que je vais crever bientôt mais dans une lente, très lente agonie. Je penche ma tête au-dessus des toilettes et l'eau me renvoie mon sale reflet, comme pour me montrer à quel point je suis laide et pathétique. Je glisse deux, puis trois doigts dans ma gorge, jusqu'au fond et appuie dessus, très fort.

Des spasmes me secouent violemment et de douloureuses nausées me prennent de court, je sens comme mon estomac qui remonte, j'ai peur qu'il ne remonte trop et ne tombe de ma bouche et tombe dans les chiottes, alors j'appuie un peu moins fort au fond de ma gorge.

Les premiers jets sont extrêmement puissants, ils arrivent par vague, tout ce que j'ai mangé s'accumule dans l'eau auparavant propre, l'odeur de mon propre vomi imprègne la pièce et je continue de me faire vomir ainsi jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que du sang qui vienne couler sur mes doigts, rien d'autre que du sang et de la bile, après ce sera fini, simplement.

Mais pendant que je dégueulais presque mes boyaux, j'ai éprouvé une indicible euphorie, une extase incroyable, un pur orgasme qui m'a inondé de ses superbes vagues chaleureuses.

C'est de cela dont je suis devenue dépendante, je le sais. De cette sensation qui me fait l'espace d'un instant sentir que j'ai accompli quelque chose. Quelque chose de destructeur peut-être, mais quelque chose tout de même. Mon ventre est redevenu plat et j'ai l'impression de n'avoir rien mangé, je me félicite comme une pauvre idiote d'avoir réussi à vomir aussi facilement cette fois-ci. Je me sens vide de nouveau, vide mais pure alors que j'ai du sang dans la gorge et l’œsophage en feu.

Mais malheureusement, il suffit généralement de quelques minutes et je me sens de nouveau trop seule et méprisable, j'ai si faim encore que je mangerais un ogre. Ma douce orgie me rappelle, et si je lui cédais je pourrais recommencer ce schéma jusqu'à l'infini. Ma vie ne serait plus rien, elle serait détruite, et ne serait que boulimie. Mes matins s'appelleraient Boulimie du Matin, l'après-midi, ce serait la Boulimie du Jour, et celle du soir, la Boulimie du Soir, et puis il y aurait enfin la dernière, la meilleure car ce serait celle qui arrive quand les lumières dehors sont éteintes et que dans le ciel là-haut les étoiles brillent de toute leur magnifique puissance universelle. Boulimie de la Nuit, la reine des crises, la reine des folles, la reine des orgies. Je l'aime, je la déteste, je la fui, et je la cherche, je ne veux plus d'elle mais elle m'attire à elle sans que je ne puisse lui résister.

Il est désormais tant de nettoyer les vestiges de ma folie, les preuves de ma faiblesse et tous ces déchets me prouvent qu'encore une fois je n'ai été que la proie de ma maladie. Oui, j'ose appeler cela une maladie, ce n'en est pas vraiment une puisqu'en fait, il s'agit d'un trouble mais qu’importe de toute façon, car je ne cherche pas de remède à mon mal, je vis avec et c'est tout ce qui compte.

Pendant deux heures, je lave consciencieusement toute la cuisine, qui est à peu près le seul endroit que je parviens à garder propre car c'est la pièce que j'utilise le plus souvent ces derniers-temps. Je fais disparaître avec mon seau et ma serpillière toute trace et tout signe évident de ma crise passée, je veux tout effacer, tout oublier par le biais du ménage, et quand je vois la pièce resplendissante et brillante, je peux sourire car c'est comme si une nouvelle vie commençait, comme si jamais rien ne s'était passé, et qu'il suffisait de tout anéantir pour tout oublier.

Dans quelques minutes, je m'endormirai épuisée, et invulnérable pour l'instant aux mauvais souvenirs qui sont dans ma tête et ces mauvaises pensées qui me commandent de sauter par la fenêtre. Heureusement, le sommeil peut me protéger de tout cela.



20/08/2013
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