gwaenardelle.blog4ever.com

gwaenardelle.blog4ever.com

Histoires et nouvelles

Des histoires fictives, écrites il y a déjà quelques temps où alors plus récentes.


Petit à petit, il prend forme.








Je fuyais, fuyais, fuyais, loin, très loin. Courant droit devant moi, fuyant l'onde de folie qui me pourchassait lentement, de son allure presque macabre et sempiternelle. L'onde de peur qui tentait sans arrêt de m'agripper de ses tenailles longues comme des dents de scie, froides et impénétrables.
Au grand jamais je n'aurais cru que je serais un jour capable de m'extirper ainsi de ma propre souffrance intérieure, de me libérer de ce bourreau, de ce bourreau qui me semblait inviolable, invincible, extérieur à moi. Mais ce bourreau, c'était moi, j'étais mon propre bourreau, la propre exécutrice de mes basses œuvres teintées d'agitation.
La raison éclaire un sentier, qui fait s'illuminer de milles feux dans ma tête un semblant de feu de joie, absent désormais de ce quelque chose qui faisait que je restais cloîtrée dans ma muraille.
Ma vue est embrouillée, des larmes coulent sur mon visage, m'inondant de leur douce chaleur salée. Ce ne sont plus des larmes de mal, mais de bien. Des larmes de joie.
Puis, peu à peu, les contours commencent à se préciser, les formes se font plus distinctes, plus réelles. La route est immense, d'une infinie continuité. Se succèdent les panneaux d'autoroute, les arbres des forêts avoisinantes. La pluie coule à torrents, embrumant le ciel d'une couleur sombre et voilée d'indifférence. J'entends le tintement des gouttes d'eau qui claque sur le pare-brise. Comme moi, la terre absout elle-même ses propres démons, nettoyant d'une main violente ce qui la ronge en-dedans. Je ne sais même pas où je vais, mais j'y vais, déchargée d'un lest qui n'était que bien trop enfoui, bien trop caché. Je me sens légère, euphorique, comme si c'était la toute première fois que je vivais enfin, que je savais enfin. Je sais. Avec peut-être toujours cette lucidité camouflée par des pensées délirantes et absurdes. Paranoïaques mêmes, douteuses, sales, désespérées ; je sais que je suis vraie, que je cours à nouveau comme le lapin blanc, mais que je ne coure plus en vain.
Mon coeur cogne dans ma poitrine, d'une saccade forte et rapide, me prouvant que je suis bel et bien vivante. Mon esprit me crie « fuis, fuis, avant qu'il ne soit trop tard. »
Fuir avant d'avoir envie de reculer, de retourner en arrière, de retourner sur mes pas, pour finalement affronter une nouvelle succession d'échecs délibérés.
A l'instant même, j'échappe à celle que j'étais avant, j'échappe à celle qui me détruisait la gueule, j'échappe à ceux qui me détruisaient aussi la gueule à coups de marteaux sans le savoir.
Je m'extirpe de mon ancienne enveloppe pour mieux ressurgir…
Suis-je folle ? Ai-je raison ? La folie n'est-elle que le doux refuge de ceux qui ont refusé de croire au but absurde de leur existence semblable à celle de milliers d'autres êtres-humains ?
La raison est-elle entièrement fondée, est-elle vraiment l'apanage de ceux qui pensent avoir toujours le dernier mot, de ceux qui détiennent la vérité ?

08/09/2014
0 Poster un commentaire

Lettre à une triste défunte

Republication d'une de mes anciennes nouvelles, modifiée et arrangée :).

Lettre à une triste défunte

Ma douce et tendre amie, toi qui es reléguée et prisonnière des infâmes solitudes de la mort, je ne cesse de maudire chaque jour ton absence...
Par-delà l'abîme de souffrance qui m'habite aujourd'hui, je ne peux continuer à vivre ainsi. Est-ce une vie que de n'avoir quiconque à ses côtés pour partager ses jours et ses nuits ? J'aimerais revenir au temps où tu n'étais pas malade et où nous étions heureux.
Je t'écris ces mots joyeusement, mais je suis lucide, je sais que tu ne peux les lire.
Tu es réduite au silence éternel, là où les cris des vivants ne t'atteignent plus.
Tes merveilleuses lèvres vermeilles, ton magnifique teint sépulcral pareil à la neige si froide d'un jour d'hiver, sur ton sublime visage alors reposant sur un doux linceul funèbre m'apparaît sans cesse. Mon esprit est meurtrit d'être ainsi hanté par ton souvenir.
Parfois, je me surprends à errer sans fin dans des paysages ensoleillés, qui pour moi, ne sont que lugubres et désolés. Je ne sais plus comment voir la beauté de ce monde, je ne suis qu'un homme et la mélancolie m'emprisonne.
Mais je m'égare quelque peu, j'en suis désolé.
En cette froide et morne nuit, que la lune n'éclaire plus, je ressens le besoin presque oppressant de te raconter mes tourments...
Auparavant, je possédais un chat, un merveilleux chat noir qui apportait un peu de gaieté dans mon existence fade et monotone.
Son pelage pouvait se comparer à la nuit noire, une nuit sans vie ni lumière. Ses yeux étaient si captivants que je me sentais mal à l'aise à chaque fois qu'ils me fixaient. J'avais la désagréable impression qu'ils pouvaient lire jusqu'au fond de mon être.
Malheureusement, il est décédé à la suite d'un pauvre coup du sort.
Coup du sort, qui je te l'avoue, fut en bonne et due forme volontaire.

Je suis lâche, comme tu as pu le voir tant de fois... Tu m'avais dit un jour que la venue d'un petit chaton dans notre maison t'aiderait à combattre ce mal qui te rongeait de l'intérieur, mais tu succomba trop tôt.
Quelquefois seulement, le remord et la culpabilité me rongent affreusement quand je songe à mon acte malsain. Mais cela ne dure qu'un temps, car je parviens à oublier ma culpabilité. Oui, car tu peux le deviner aisément, j'ai tué mon petit compagnon, notre ami.
Un jour où je vais sereinement à ma chambre me reposer, j'aperçois près de mon lit l'exact animal qu'était mon chat. Je crois tout d'abord à une simple mégarde de ma part. Je ne m'en inquiète donc pas.
Puis je commence à me rendre compte que cet animal perfide suit chacun de mes pas.
J'ai beau ignorer sa présence, en vain, il est toujours là, me surveillant comme s'il était sûr que j'allais commettre un acte odieux.
Mais peut-on réellement appeler cela une présence ?
Car en vérité, ce ne peut être un composé de chair et d'os, car cette étrangeté est bel et bien morte. J'en suis certain, la petite tombe creusée lors de sa mort est encore dans le jardin, et je me souviens m'être occupé des funérailles moi-même.
Cela fait désormais plusieurs jours qu'il m'observe, m'épie et me guette.
Et j'ai toujours l'impression d'être enchaîné tel un prisonnier enfermé dans sa propre demeure.
Ses yeux jaunes, son air sournois, son petit corps décharné, ses dents si pointues qu'elles pourraient presque me tuer si l'envie traversait son esprit. Et sa physionomie entière, si hideuse... C'est elle qui me fait le plus horreur, car elle me rappelle à quel point je suis faible et dépourvu de courage.
Mais je ne puis plus supporter cette immonde bête.
Vois-tu, toute cette infamie semble bien dérisoire ; un pauvre homme seul tourmenté à la vue d'un simple chat, un stupide petit chat d'ordinaire inoffensif...
D'autant plus qu'il ne peut pas être réel, c'est absolument impossible.
J'éprouve une immonde et cruelle envie de saccager sa sépulture dans l'espoir de regagner ma quiétude d'antan.
Je n'en puis plus, je me sens très troublé, mon cœur se serre de plus en plus, je suis impuissant et je crains de ne pas survivre à tous ces tourments.
J'ai profané sa tombe, il y a des débris de pierres sur la terre du jardin, une odeur pestilentielle tarde à se dissiper, mais qu'importe.
Je me sens un peu mieux, bien qu'ayant l'âme désastreuse.
Au réveil, il a enfin déserté les lieux.
Serait-ce le fait d'avoir détruit le cercueil, puis exhumé ce petit être ?
Ou alors serait-ce encore un effet de mon imagination ?
Je ne le sais pas, mais je n'y pense plus maintenant, parce qu'il n'est plus.
Je me sens libéré d'un poids considérable, mais ma mélancolie persiste toujours.
J'observe mon reflet dans le miroir, mon corps n'est plus le même, il est devenu plus maigre qu'avant, j'ai le regard vide et c'est à peine si j'ose affronter la lumière du jour.
Subrepticement, un mince sourire se profile sur mon visage sans que je n'en sache la raison, mais c'est le seul sourire qu'il n'y ai eu depuis bien longtemps...

Soudain, je manque de défaillir, dans mon dos se reflète une étrange personne.
Un chevalier, portant une immense épée qui doit être bien lourde, mais ici elle semble ne rien peser. Il est habillé de vêtements écossais, avec sur son long manteau, un blason royal dont je ne connais pas la signification. Son visage est terrifiant, pourtant je me sens irrémédiablement envoûté par sa beauté glaciale, qui est si magnifique qu'elle en devient terrible.
Je n'ose y croire, ce ne peut être possible. Suis-je fou ? Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Est-ce la solitude qui me pousse à voir des choses qui n'existent pas ?
D'une voix rauque et profonde, il dit : " toi qui as osé pénétrer en ces lieux, tu dois disparaître."
Sarcastique, il s'en va de la pièce d'une lourde démarche en disparaissant comme par enchantement une fois la porte franchie.
Je m'agenouille brutalement à terre, pleurant longuement.
Je ne sais ce qui m'arrive, je suis perdu, mais je ne partirai pas car je suis chez moi et même si je suis littéralement mort de peur, je ne fuirai pas !
Les jours passent, ce n'est que suite d'avertissements dont je fais l'objet, les murs sont recouverts de menaces et de signes que je ne comprends pas, on dirait une autre langue...

Je suis vraiment très inquiet.
Je trouve avec peine la force de me lever chaque matin, déployant d'immenses efforts pour seulement m'habiller avec peine.
De jour en jour, je m'affaiblis, en proie au désespoir. Je me sens tellement misérable.

Mon chagrin est insurmontable et je commence à me dire que la mort serait préférable à cette non-existence, à quoi bon vivre si c'est pour demeurer ainsi ?

Toutefois, un matin, je constate que ces manifestations diaboliques ont disparues, comme le chat, elles se sont envolées.
L'appétit et le goût de vivre me reviennent, je n'ai plus peur, je suis soulagé et l'espoir de connaître des jours meilleurs m'habite.
Ma douce ténébreuse, je me sens renaître en t'écrivant ces quelques lignes.
Aussi, c'est à regret que je dois arrêter ce courrier.
Une pensée me parvient à l'esprit ; suis-je si désœuvré au point de t'écrire tout en sachant que jamais tu ne liras ma lettre ? Je suis sans doute un idiot pour croire aux miracles.
Mais je suis perdu à jamais dans l'océan profond de ma solitude sans toi.
Ma magnificence, ma belle brune, je te hais tant de m'avoir abandonné...
Ton cher ami.


Il est assis et écrit fiévreusement à son amour perdu, un sourire éclairant son visage. Soudainement, en se retournant, il a la vision de ce qui peut être le plus rude, le plus dérangeant, le plus étrange et le plus effrayant pour un être humain.
Devant le miroir, dans toute sa splendeur se tient un squelette.
Cette carcasse est muette mais le simple bruit de ses os sur le plancher suffit à faire naître l'horreur en lui.
L'homme, les yeux écarquillés, remplit de terreur, la bouche muée en un sombre rictus ; éclate d'un rire guttural. Il est en proie à une vive démence. Machinalement, il s'approche de sa fenêtre déjà ouverte. Une douce brise l'assaille, le clair de lune qu'un nuage laisse apparaître inonde tout à coup son visage. Tremblant de peur à la vue de ce squelette s'approchant inexorablement de sa proie, l'homme incroyablement seul agrippe avec force la dague qu'il garde toujours dans sa poche.
Souhaitant abandonner la pourriture de son existence maudite, il se transperce profondément le cœur. La douleur est insupportable, mais elle n'est rien face au bonheur qui le submergera en retrouvant sa femme.

Le sang vermeil coule silencieusement...

Le sol s'inonde peu à peu, et tout ce fait silencieux.

Dans la pièce ne demeure plus que l'homme qui a détruit sa vie.
Mais savait-il seulement, dans sa triste folie, que sa bien-aimée n'était qu'une simple vision ?







20/08/2014
0 Poster un commentaire

Extrait 2

Je marche vers une direction incertaine, je ne sais pas où je vais, je ne sais pas quoi faire. Je crois en fait que je perds mon temps, et d'ailleurs qu'est-ce que je fous-là ? Je devrais être avec des gens dont je n'apprécie même pas la compagnie, à rire, à discuter, faire semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes, faire semblant que je suis content d'être le centre de l'attention des femmes qui rêveraient pour la plupart d'être dans mon lit cette nuit, me satisfaire du regard admiratif ou jaloux des hommes car ils pensent ne pas être aussi merveilleux et aussi beaux que moi.

Quelle putain d'hypocrisie, ce monde m'écœure, mais qu'est-ce que je peux faire d'autre ? Je ne connais que ça, je ne sais faire que ça. Me défoncer la gueule pour tenter d'oublier à quel point je me sens con à chaque seconde, à quel point je sens que je ne vais nul part. Oh bordel, je donnerais tout pour ne pas être aussi lucide, pour ne pas voir que cet univers est dégueulasse, rempli de gens aussi dégueulasses. Et moi, je me sens également dégueulasse.

J'ai oublié de m'acheter des clopes, je me dirige donc vers le bureau de tabac le plus proche. La cigarette : exutoire universel, ce concentré cancérigène, mais qui fait passer le temps, qui fait passer l'ennui qui me prend bien trop souvent la tête.

Il y a pleins de gonzesses habillées de jupes très courtes, vêtues de chemisiers dévoilant discrètement leurs seins, certaines sont très belles mais aucune ne m'intéresse vraiment, je peux avoir toutes celles que je désire si je le voulais. Seulement, je ne veux que cette fille, La fille.

Bien malheureusement, je me sens un peu mort, comme s'il me manquait une partie de moi, comme si ce matin en me réveillant un bout de mon être s'était fait la malle dans une autre galaxie.

Putain, j'étais trop loin, bien loin d'imaginer que j'allais enfin croiser celle que je cherchais sans trop d'espoir, j'aurais bien aimé la suivre tout à l'heure mais je trouvais cela irrespectueux, étonnant venant de ma part. J'ai tellement l'habitude de considérer les femmes comme des idiotes inintéressantes, juste attirées par mon fric et ma belle gueule, je n'ai jamais eu l'occasion de sortir avec l'exception, elles se ressemblent toutes, trop superficielles, trop matérialistes. Je le suis aussi bien sûr, mais je souhaite connaître autre chose, réellement.

https://www.youtube.com/watch?v=jWFb5z3kUSQ



16/08/2014
0 Poster un commentaire

Extrait long de mon ébauche de roman

Chapitre 5, Partie 2

 

Jean-Paul Sartre disait cette phrase : « L'enfer, c'est les autres », mais moi, j'ai envie de lui dire à ce bon Monsieur Sartre que sa citation ne peut pas s'appliquer à tout le monde, parce que dans mon cas, l'enfer ce n'est pas les autres, mais moi-même.

En vérité la plus dangereuse, n'est-ce pas celle qui tente de s'ôter la vie alors qu'elle a, apparemment, tout pour être heureuse mais sans y parvenir ? J'ose le dire, j'éprouve le besoin irrépressible de faire disparaître de la surface de la terre cette non-existence qui est la mienne, d'enlever cette vie-même que ma mère a fait grandir dans son ventre et qu'elle a nourri durant sept mois dans une parfaite osmose avec un cordon ombilical. C'est une douleur que je n'explique pas et qui est de toute façon inexplicable car pleine d'absurdité. Je me suis tant de fois assise sur le rebord de la fenêtre, avec au dessous de moi des voitures minuscules, mes jambes se balançant dans le vide en imaginant mon corps se fracasser et exploser sur le sol, souillant les bagnoles et les immeubles de morceaux de corps, pourtant sans jamais passer à l'acte car cette idée de fin que personne n'a jamais pu raconter parce que personne n'en est revenu m'est trop effrayante.

Mais la vie est une pute, et moi je suis trop lucide.

Et me voilà maintenant de nouveau seule, la porte claque pour la deuxième fois en seulement quelques heures, ce claquement qui cogne sur mes oreilles et qui me fait esquisser un petit sourire mi-soulagé, mi-désespéré.

Ma respiration devient de plus en rapide alors que je tourne la tête tout autour de moi en quête d'un peu de compagnie, mais le constat est désolant. Il n'y a personne pour moi ici, et je sais que je vivrais comme ça très vieille : seule avec des chats qui pissent sur le tapis.

Les battements de mon cœur s'accélèrent, mon ventre se tord, j'ai l'impression d'être dans une machine à laver tant ma vision se tourne, je suis perdue, je me sens si seule, si seule, si seule...

Je ne pourrais pas expliquer le cheminement qu'a prit ma pensée tandis que je courais dans la cuisine à la recherche d'un moyen pour atténuer ce vide qui menaçait de m'engloutir comme une baleine.

Devenue zombie, devenue hyène affamée, devenue sangsue avide de sang, devenue vampire assoiffée, je me suis ruée telle une furie dans ce temple de la nourriture et de cette drogue qui a la douce appellation de sucre.

J'ouvre à la volée tous les placards, toutes les portes, je ne me contrôle plus, je ne suis plus Eva, je suis une pauvre junkie qui est en manque de sa dose. Je prends tout ce qui passe, qu'importe ce que c'est, du moment que ça a l'air bon et rapide à manger. Le plan de travail est jonché de paquets de chips à la moutarde et au poulet, de boîtes de thon, d'une boîte de conserve remplie de saucisses-lentilles, de tartelettes au chocolat, de gâteaux à la fraise, d'un pot de Nutella. S'ensuivent ensuite le jambon, le saucisson, le fromage râpé, le fromage de chèvre...

Je contemple avec envie mon carnage, mélangeant appréhension et excitation, je commence à remplir mes cinq bouteilles d'eau très chaude, en vue de ma prochaine orgie. Mes gestes sont méthodiques et rythmés par l'habitude du shoot.

Une légère hésitation ralentit ma course, et toute une partie moi est en train d'essayer de lutter, d'échapper à ce qui l'attend, mais je n'ai plus de raison, je ne peux plus lutter contre ça.

Mes doigts ouvrent rapidement le tout premier paquet de chips, attrapent le premier pétale et le goût du sel qui picote sur ma langue provoque toute une réaction en chaîne, me transformant inévitablement en monstre dévoreur de nourriture humaine.

Tout va vite, trop vite pour que manger comme cela soit naturel, mais rien n'est naturel dans ma manière d'agir, rien de rien.

J'avale des énormes bouchées de chocolat, ne prenant même pas le temps de mâcher que déjà l'autre bouchée est dans ma bouche, prête à être avalée encore et encore, je suis un robot, et je suis en pleine extase.

Je sens le goût des aliments sur mon palet, sur mes dents et dans ma gorge, tout est délicieux et je ne m'en repaît pas, en voulant toujours plus, je continue à ouvrir tout ce qui se trouve sur le comptoir, jetant les papiers par terre, à même le carrelage.

Bientôt, j'enfourne dans ma bouche une grosse et dernière part de fromage, et j'ai envie de vomir. Mon estomac ne peut plus rien contenir, j'ai tellement mal au ventre que j'ai l'impression qu'on me plante des couteaux très profond dans la chair et que ça touche les intestins. Je baisse les yeux sur mon abdomen, et je le vois avec répulsion, cet immonde gros ballon qui ressemble au ventre d'une femme enceinte. Je commence à sangloter doucement, tout me dégoûte mais moi encore plus, je me déteste et je me hais d'avoir agi de la sorte, je voudrais mourir !

Mon corps m'envoie des signaux d'alarme, je peine à marcher et les quelques mètres qui me séparent de mes précieuses bouteilles me semblent insurmontables.

Enfin, je bois encore et encore l'eau déjà tiède, gonflant encore un peu plus mon ventre et emprisonnant toujours plus ma liberté de mouvement, je n'ai plus de force, tellement mal que j'en suis clouée au sol.

Je parviens jusqu'à la cuvette des toilettes à genoux, je me sens mourir de l'intérieur, j'ai l'impression que je vais crever bientôt mais dans une lente, très lente agonie. Je penche ma tête au-dessus des toilettes et l'eau me renvoie mon sale reflet, comme pour me montrer à quel point je suis laide et pathétique. Je glisse deux, puis trois doigts dans ma gorge, jusqu'au fond et appuie dessus, très fort.

Des spasmes me secouent violemment et de douloureuses nausées me prennent de court, je sens comme mon estomac qui remonte, j'ai peur qu'il ne remonte trop et ne tombe de ma bouche et tombe dans les chiottes, alors j'appuie un peu moins fort au fond de ma gorge.

Les premiers jets sont extrêmement puissants, ils arrivent par vague, tout ce que j'ai mangé s'accumule dans l'eau auparavant propre, l'odeur de mon propre vomi imprègne la pièce et je continue de me faire vomir ainsi jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que du sang qui vienne couler sur mes doigts, rien d'autre que du sang et de la bile, après ce sera fini, simplement.

Mais pendant que je dégueulais presque mes boyaux, j'ai éprouvé une indicible euphorie, une extase incroyable, un pur orgasme qui m'a inondé de ses superbes vagues chaleureuses.

C'est de cela dont je suis devenue dépendante, je le sais. De cette sensation qui me fait l'espace d'un instant sentir que j'ai accompli quelque chose. Quelque chose de destructeur peut-être, mais quelque chose tout de même. Mon ventre est redevenu plat et j'ai l'impression de n'avoir rien mangé, je me félicite comme une pauvre idiote d'avoir réussi à vomir aussi facilement cette fois-ci. Je me sens vide de nouveau, vide mais pure alors que j'ai du sang dans la gorge et l’œsophage en feu.

Mais malheureusement, il suffit généralement de quelques minutes et je me sens de nouveau trop seule et méprisable, j'ai si faim encore que je mangerais un ogre. Ma douce orgie me rappelle, et si je lui cédais je pourrais recommencer ce schéma jusqu'à l'infini. Ma vie ne serait plus rien, elle serait détruite, et ne serait que boulimie. Mes matins s'appelleraient Boulimie du Matin, l'après-midi, ce serait la Boulimie du Jour, et celle du soir, la Boulimie du Soir, et puis il y aurait enfin la dernière, la meilleure car ce serait celle qui arrive quand les lumières dehors sont éteintes et que dans le ciel là-haut les étoiles brillent de toute leur magnifique puissance universelle. Boulimie de la Nuit, la reine des crises, la reine des folles, la reine des orgies. Je l'aime, je la déteste, je la fui, et je la cherche, je ne veux plus d'elle mais elle m'attire à elle sans que je ne puisse lui résister.

Il est désormais tant de nettoyer les vestiges de ma folie, les preuves de ma faiblesse et tous ces déchets me prouvent qu'encore une fois je n'ai été que la proie de ma maladie. Oui, j'ose appeler cela une maladie, ce n'en est pas vraiment une puisqu'en fait, il s'agit d'un trouble mais qu’importe de toute façon, car je ne cherche pas de remède à mon mal, je vis avec et c'est tout ce qui compte.

Pendant deux heures, je lave consciencieusement toute la cuisine, qui est à peu près le seul endroit que je parviens à garder propre car c'est la pièce que j'utilise le plus souvent ces derniers-temps. Je fais disparaître avec mon seau et ma serpillière toute trace et tout signe évident de ma crise passée, je veux tout effacer, tout oublier par le biais du ménage, et quand je vois la pièce resplendissante et brillante, je peux sourire car c'est comme si une nouvelle vie commençait, comme si jamais rien ne s'était passé, et qu'il suffisait de tout anéantir pour tout oublier.

Dans quelques minutes, je m'endormirai épuisée, et invulnérable pour l'instant aux mauvais souvenirs qui sont dans ma tête et ces mauvaises pensées qui me commandent de sauter par la fenêtre. Heureusement, le sommeil peut me protéger de tout cela.


20/08/2013
4 Poster un commentaire

L'Effrainée

 

 


On dit que dans un lieu isolé de Bretagne, un lieu où, clair et limpide, un torrent suit tranquillement son cours ; se trouve une mystérieuse femme. On prétend que celle-ci apparaît dès le crépuscule, pour ne repartir qu'à l'aube...

Quelques lignes confuses, improbables...
Alors pourquoi faisaient-elles tant d'effet sur mon pauvre esprit ?
Par un jour maussade du mois d'octobre, mes yeux se sont posés sur ce texte quelque peu incroyable. Depuis lors, je ne cessais de songer à cette pieuse légende, mes rêves s'en trouvaient hantés et mon âme s'imprégnait dangereusement de ce récit. Au fil du temps qui passait, elle occupait ma vie de plus en plus. Comme si, personnifiée, elle forçait l'intérêt. Mais pour moi, ce qui était nommé « légende » ne m'apparaissait plus comme cela. Je me sentais possédée, emprisonnée mais fascinée. Je m'ennuyais dans cette existence monotone, à regarder envieusement les oiseaux voler si librement et avec insouciance. J'aurais aimé partir loin, très loin et rencontrer cette femme, qui s'appropriait toutes mes nuits...
Dans une auberge du village, j'entendis un vieil homme murmurer quelques mots sur une légende. Sans doute était-il fou, car il parlait seul, pauvre homme !
Mon coeur battait follement, rougissante, je m'approchais silencieusement du monsieur.
"Doenna, Doenna, c'est là que j'y ai trouvé mon malheur..."
Comme son visage était triste en prononçant inlassablement cela ! Il fallait que je sache !
"Pardonnez-moi... Auriez-vous la gentillesse de me dire ce qu'est "Doenna" ?
- Ce mot désigne, ma chère enfant, une rivière profonde, cachée par d'innombrables feuillages ; vous ne la trouverez qu'en suivant le chemin de terre. Mais prenez garde à celle qu'y s'y tient, ou vous courrez à votre perte !"
L'expression qu'il prit à la simple évocation de cette présence semblait emplie de désespoir !
Ses yeux étaient agrandis par une véritable terreur. Le corps secoué par les sanglots, je m'enfuyais loin de cet homme. Je ne rentrais pas à la maison ce soir-là, car j'étais poursuivie par les paroles du vieux monsieur...
Le chemin de terre paraissait interminable, on eut dit qu'une force supérieure le rallongeait à chaque pas. Dans le ciel, le soleil descendait doucement. Quiconque observait ce lieu ne voyait qu'une simple jeune fille avançant au gré du vent. Fatiguée, les pieds douloureux, la robe déchirée par les ronces environnantes, j'aperçus enfin de nombreux entrelacs de feuilles et de branches. Derrière tout cela se profilait un magnifique torrent. Ici, la nature flirtait avec de minuscules êtres vivants, en osmose avec la moindre touffe d'herbe. L'eau propre et claire dévalait telle une cascade les rochers ; cela provoquait le son admirable d'un tintement de cloche. Le soleil à peine couché produisait de belles teintes mordorées. Au milieu de cet oasis de pureté naturelle, une personne était agenouillée, calme et solitaire. Un être d'une magnificence merveilleuse...
Les longs cheveux roux volants légèrement au vent, que le reflet de lune nouvellement apparu rendaient encore plus superbes, la taille si élancée et gracile...
Cette splendide femme avait un visage diaphane, de grands yeux sombres, des lèvres charmantes et vermeilles. Elle ressemblait à une poupée de porcelaine.
Son corps n'était vêtu que d'une simple robe blanche, soyeuse et légère ; soulignant parfaitement ses formes. Son enveloppe charnelle resplendissait et ressemblait à une sphère lumineuse ; éclairant le paysage autour d'elle. Seulement, cette merveilleuse inconnue semblait transparente, très proche d'un état étherique. Comme elle était belle !
Mais que faisait-elle abaissée comme cela, le visage aussi triste et résigné ? Les mains blanches et délicates nettoyaient avec acharnement quelques linges ; sûrement des vêtements. Au fur et à mesure de cette étrange tâche, l'eau s'assombrissait quelques instants, puis le courant emportait toute cette souillure.
"Approche, petite fille, n'aie pas peur de l'inconnu et viens me rejoindre."
Ô si douce était cette voix ! Se pouvait-il qu'une âme humaine produise un tel son ?
Près, si près de cette beauté étrangère, irréelle, je tremblais d'émotion.
"Ne prononce aucun mot, je te demande seulement de m'écouter."
L'intonation et la musique que donnaient ses paroles étaient incroyablement séduisantes ; je n'avais pas de mal à lui obéir. Telle une simple petite esclave, s'inclinant et se prosternant au-devant de sa grande dame.
Elle ne me regardait pas, les yeux posés uniquement sur ce qu'elle tenait.
J'avais l'ordre de ne pas parler, mais comme il était difficile de contenir sa curiosité !
"Depuis longtemps je m’attelle à cette fastidieuse tâche qui m'incombe tant. Tu dois te demander quelle est cette mystérieuse couleur sur ces habits, cette couleur qui assombrit peu à peu une eau si pure.
Dans les plus pauvres logis, mais aussi dans les plus riches demeures, je poursuis inlassablement cette quête qui est mienne. Telle une chose invisible, je parcours les habitations où, triste et cruelle, la Mort attend son tour. Quand la lumière disparaît, je me tiens agenouillée ici, avec dans les bras les vêtements tachés de sang de ceux qui vont mourir... Il y a de nombreuses années, je suis tombée très malade. Dans les rues, les gens s'affolaient, le peuple maudissait les bateaux du port. On devait construire beaucoup de cercueils, car les pertes humaines étaient trop importantes. Une épidémie aussi forte et inconnue ne pouvait m'oublier...
Puis un jour, la fièvre a fait rage en mon corps. Je tremblais de tout mon être, ayant tour à tour horriblement chaud, et les membres glacés. Délirante et déshydratée, je faiblissais à vue d'oeil. Au troisième jour de la maladie, j'aperçus sur ma peau une petite marque, semblable à la morsure d'un serpent. Du poison en moi !
Se propageant partout, si puissant. La folie s'empara de mon esprit, qui n'était plus qu'incongru et démentiel.
Quelques jours plus tard, je succombais...
Cette formidable épidémie qu'était la peste : une fièvre continue, aiguë et maligne, ayant tendance à faire mourir l'homme ; tout genre humain.
Désormais, je suis condamnée à rester près de cette rivière jusqu'à l'aurore. Déjà elle approche, je dois abandonner les lieux !
Moi, pauvre laveuse solitaire, que l'on appelle l'Effrainée..."
Avec des gestes gracieux, elle se relevait lentement, de plus en plus transparente. Étaient apparues dans son dos deux immenses ailes fines et lumineuses, pareilles à celles d'un papillon. Plus rayonnante que jamais, elle s'évapora dans le néant infini du ciel...
Je ne pouvais plus me lever, comme si j'étais enchaînée.
Effrayante et sombre, la pile de linge semblait m'attendre...
Ô vision d'horreur !
Avais-je été misérablement trompée par cette femme ?
Une merveilleuse fée si vile et perfide !
Je m'allongeais au sol, fermais les yeux.
Je voulais m'amenuir...


03/10/2012
0 Poster un commentaire