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L'Effrainée

 

 


On dit que dans un lieu isolé de Bretagne, un lieu où, clair et limpide, un torrent suit tranquillement son cours ; se trouve une mystérieuse femme. On prétend que celle-ci apparaît dès le crépuscule, pour ne repartir qu'à l'aube...

Quelques lignes confuses, improbables...
Alors pourquoi faisaient-elles tant d'effet sur mon pauvre esprit ?
Par un jour maussade du mois d'octobre, mes yeux se sont posés sur ce texte quelque peu incroyable. Depuis lors, je ne cessais de songer à cette pieuse légende, mes rêves s'en trouvaient hantés et mon âme s'imprégnait dangereusement de ce récit. Au fil du temps qui passait, elle occupait ma vie de plus en plus. Comme si, personnifiée, elle forçait l'intérêt. Mais pour moi, ce qui était nommé « légende » ne m'apparaissait plus comme cela. Je me sentais possédée, emprisonnée mais fascinée. Je m'ennuyais dans cette existence monotone, à regarder envieusement les oiseaux voler si librement et avec insouciance. J'aurais aimé partir loin, très loin et rencontrer cette femme, qui s'appropriait toutes mes nuits...
Dans une auberge du village, j'entendis un vieil homme murmurer quelques mots sur une légende. Sans doute était-il fou, car il parlait seul, pauvre homme !
Mon coeur battait follement, rougissante, je m'approchais silencieusement du monsieur.
"Doenna, Doenna, c'est là que j'y ai trouvé mon malheur..."
Comme son visage était triste en prononçant inlassablement cela ! Il fallait que je sache !
"Pardonnez-moi... Auriez-vous la gentillesse de me dire ce qu'est "Doenna" ?
- Ce mot désigne, ma chère enfant, une rivière profonde, cachée par d'innombrables feuillages ; vous ne la trouverez qu'en suivant le chemin de terre. Mais prenez garde à celle qu'y s'y tient, ou vous courrez à votre perte !"
L'expression qu'il prit à la simple évocation de cette présence semblait emplie de désespoir !
Ses yeux étaient agrandis par une véritable terreur. Le corps secoué par les sanglots, je m'enfuyais loin de cet homme. Je ne rentrais pas à la maison ce soir-là, car j'étais poursuivie par les paroles du vieux monsieur...
Le chemin de terre paraissait interminable, on eut dit qu'une force supérieure le rallongeait à chaque pas. Dans le ciel, le soleil descendait doucement. Quiconque observait ce lieu ne voyait qu'une simple jeune fille avançant au gré du vent. Fatiguée, les pieds douloureux, la robe déchirée par les ronces environnantes, j'aperçus enfin de nombreux entrelacs de feuilles et de branches. Derrière tout cela se profilait un magnifique torrent. Ici, la nature flirtait avec de minuscules êtres vivants, en osmose avec la moindre touffe d'herbe. L'eau propre et claire dévalait telle une cascade les rochers ; cela provoquait le son admirable d'un tintement de cloche. Le soleil à peine couché produisait de belles teintes mordorées. Au milieu de cet oasis de pureté naturelle, une personne était agenouillée, calme et solitaire. Un être d'une magnificence merveilleuse...
Les longs cheveux roux volants légèrement au vent, que le reflet de lune nouvellement apparu rendaient encore plus superbes, la taille si élancée et gracile...
Cette splendide femme avait un visage diaphane, de grands yeux sombres, des lèvres charmantes et vermeilles. Elle ressemblait à une poupée de porcelaine.
Son corps n'était vêtu que d'une simple robe blanche, soyeuse et légère ; soulignant parfaitement ses formes. Son enveloppe charnelle resplendissait et ressemblait à une sphère lumineuse ; éclairant le paysage autour d'elle. Seulement, cette merveilleuse inconnue semblait transparente, très proche d'un état étherique. Comme elle était belle !
Mais que faisait-elle abaissée comme cela, le visage aussi triste et résigné ? Les mains blanches et délicates nettoyaient avec acharnement quelques linges ; sûrement des vêtements. Au fur et à mesure de cette étrange tâche, l'eau s'assombrissait quelques instants, puis le courant emportait toute cette souillure.
"Approche, petite fille, n'aie pas peur de l'inconnu et viens me rejoindre."
Ô si douce était cette voix ! Se pouvait-il qu'une âme humaine produise un tel son ?
Près, si près de cette beauté étrangère, irréelle, je tremblais d'émotion.
"Ne prononce aucun mot, je te demande seulement de m'écouter."
L'intonation et la musique que donnaient ses paroles étaient incroyablement séduisantes ; je n'avais pas de mal à lui obéir. Telle une simple petite esclave, s'inclinant et se prosternant au-devant de sa grande dame.
Elle ne me regardait pas, les yeux posés uniquement sur ce qu'elle tenait.
J'avais l'ordre de ne pas parler, mais comme il était difficile de contenir sa curiosité !
"Depuis longtemps je m’attelle à cette fastidieuse tâche qui m'incombe tant. Tu dois te demander quelle est cette mystérieuse couleur sur ces habits, cette couleur qui assombrit peu à peu une eau si pure.
Dans les plus pauvres logis, mais aussi dans les plus riches demeures, je poursuis inlassablement cette quête qui est mienne. Telle une chose invisible, je parcours les habitations où, triste et cruelle, la Mort attend son tour. Quand la lumière disparaît, je me tiens agenouillée ici, avec dans les bras les vêtements tachés de sang de ceux qui vont mourir... Il y a de nombreuses années, je suis tombée très malade. Dans les rues, les gens s'affolaient, le peuple maudissait les bateaux du port. On devait construire beaucoup de cercueils, car les pertes humaines étaient trop importantes. Une épidémie aussi forte et inconnue ne pouvait m'oublier...
Puis un jour, la fièvre a fait rage en mon corps. Je tremblais de tout mon être, ayant tour à tour horriblement chaud, et les membres glacés. Délirante et déshydratée, je faiblissais à vue d'oeil. Au troisième jour de la maladie, j'aperçus sur ma peau une petite marque, semblable à la morsure d'un serpent. Du poison en moi !
Se propageant partout, si puissant. La folie s'empara de mon esprit, qui n'était plus qu'incongru et démentiel.
Quelques jours plus tard, je succombais...
Cette formidable épidémie qu'était la peste : une fièvre continue, aiguë et maligne, ayant tendance à faire mourir l'homme ; tout genre humain.
Désormais, je suis condamnée à rester près de cette rivière jusqu'à l'aurore. Déjà elle approche, je dois abandonner les lieux !
Moi, pauvre laveuse solitaire, que l'on appelle l'Effrainée..."
Avec des gestes gracieux, elle se relevait lentement, de plus en plus transparente. Étaient apparues dans son dos deux immenses ailes fines et lumineuses, pareilles à celles d'un papillon. Plus rayonnante que jamais, elle s'évapora dans le néant infini du ciel...
Je ne pouvais plus me lever, comme si j'étais enchaînée.
Effrayante et sombre, la pile de linge semblait m'attendre...
Ô vision d'horreur !
Avais-je été misérablement trompée par cette femme ?
Une merveilleuse fée si vile et perfide !
Je m'allongeais au sol, fermais les yeux.
Je voulais m'amenuir...



03/10/2012
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